Le lien immuable

... Le lien immuable ...

Petite campagne abandonnée. Petite maison saupoudrée de nature. Petite cabane à la vielle porte branlante posée un peu plus loin. Tel est le décors de Gocia. Petit couple assez classique qui à fait son "come back" aux sources (c'est dans l'air du temps...?). Elle a dit : "marre de la ville et de la pollution, marre du stress et des soucis matériels, il faut qu'on s'oxygène." Lui n'a rien dit. Il a suivit, le regard éteint, comme toujours d'ailleurs. Mais son visage terne n'a pas l'air de vouloir s'oxygéner. Elle, peau claire, cheveux clairs, yeux clairs, regard brouillé. Lui, peau sombre, cheveux emmêlés, lèvres figées, sourire envolé. Elle, une poupée fatiguée et abîmée par la solitude face au temps qui passe. Lui, mélange d'une profonde tristesse et d'une indifférence infinie.

La vie faisant son oeuvre, le ventre de Karine grossit pendant 8 mois avant l'arrivée quelque peu prématurée de Margaux. Bébé très calme, trop calme. Elle avait hérité de son père cette profonde et triste indifférence. Elle ne pleurait pas. Elle parla tard. Elle marcha tôt. Elle était seule. Comme ses parents. Tout les trois, ils étaient seuls. Même ensemble ils étaient seuls. Les jours s'écoulèrent, lentement, chaque jour étant semblable au précédent et ressemblant étrangement au suivant.
Margaux alla à l'école. La vue de tous ces enfants, du travail qui l'attendait, des vieux locaux délabrés, des institutrices aux visages serrés et des arbres tristement alignés dans la cours trop rectangulaire, l'horrifia. Du haut de ses trois ans elle fut bouleversée. On la mit dans cette école sinistre si soudainement, sans lui avoir demandé son avis et sans même l'avoir prévenue. Un sentiment d'injustice et d'impuissance jusque là peu connu, tout juste effleuré, s'empara de son être et fit chavirer son regard. Lui qui ne reflétait qu'une morne lassitude glacée étincelait désormais de l'éclat de la révolte à l'état pur.
D'autres années s'écoulèrent, encore. Margaux fit quelques connaissances, bien malgré elle. Puis à six ans elle rencontra Raphaël. Petit garçon à la bouille tendre, au teint nacré parsemé de taches de rousseurs et au regard intensément vert. Lorsque ce regard doux et apaisant croisa celui sombrement tourmenté de Margaux, la vie de cette dernière eut enfin un sens.

Ils devinrent rapidement inséparables. En les voyant les gens s'exclamaient : "Ces deux là se sont bien trouvés, se sont les meilleurs amis du monde !" Mais Margaux et Raphaël ne l'entendait pas de cette oreille. Non, ils n'étaient pas "les meilleurs amis du monde", bien sur que non ! Ils étaient bien plus. Tellement plus que c'était indéfinissable. D'ailleurs voilà bien une manie d'adulte que de vouloir tout qualifier, que de s'efforcer de tout bien ranger dans des petites boîtes identiques et numérotées pour que tout soit en ordre. Et surtout que rien ne soit dérangé. Ce serait tellement... dérangeant ! Mais pour vous donner une idée, Margaux et Raphaël c'était la simplicité d'une symbiose totale, la pureté de deux âmes égarées qui ensemble construisent un nouveau chemin. C'était simplement comme si la vie avait vraiment commencé lors de la rencontre, et on se demande encore comment on a réussit à survivre avant cette dernière. Mais de toute façon "avant" n'est plus qu'un pâle souvenir, sans saveur ni parfum qui semble même ne plus nous appartenir.

(dédié à Gwenn)